La ménopause n’est plus une obligation

Je vous invite à fermer les yeux et à imaginer une femme ménopausée.
Cela ne devrait prendre que quelques secondes…
Quelle est la première image qui vous traverse l’esprit?
Une femme joyeuse, délivrée, puissante?
Ou flotte t-il autour de l’image de la femme ménopausée quelque chose qui ressemble
plus à un nuage de tristesse, un arrêt de la féminité et une perte de désir?
Au delà de cette image mentale, aujourd’hui en France (comme dans de nombreux pays
occidentaux) les statistiques 1 indiquent que 87 % des femmes ressentent un ou plusieurs
symptômes désagréables ou difficiles liés à la ménopause tandis qu’une moyenne de
23% subissent des symptômes totalement invalidants 2. Il s’agit donc de millions de
femmes dont la vie s’est figée dans un véritable cauchemar par manque de soutien et
de prise en charge. La plupart le gardent pour elles, tabou oblige…3
UNE PERCEPTION MÉDICALISÉE ET STIGMATISANTE
Daniel Delanoë, psychiatre et anthropologue 4, a trouvé les premières traces de
symptômes désagréables, difficiles ou invalidants, dû à l’arrêt des menstruations, écrites
en 1821 par Charles de Gardanne, médecin français, qui les a classées sous le terme
médical de « ménopause ». Terme qui sera repris par les sciences médicales dans le
monde entier. Pour Delanoë le terme ménopause englobe « dans une notion
stigmatisante arrêt des règles et de la fertilité, maladies physiques et mentales et
perte de statut ».
Au XIX siècle l’alcoolisme était considéré comme un symptôme de la ménopause que la
science médicale considérait comme dangereuse car pouvant induire des troubles
mentaux.4 Cette vision pathologisante ne s’est pas estompée avec le temps. Aujourd’hui
sur la liste constituée d’une soixantaine de symptômes on peut encore y trouver la
dépression.
Chaque femme se confronte différemment aux changements hormonaux en fonction de
son histoire personnelle. Le vécu de sa sexualité depuis son adolescence jusqu’à l’arrêt
des règles est un facteur déterminant. Tout comme le vécu de ses règles, la façon dont
elles ont été amené par les femmes de sa famille. Mais aussi comment les femmes de sa
lignée ont vécu leur féminité et notamment l’arrêt de la fertilité. Par ailleurs, quand les
blessures existentielles non cicatrisées ressurgissent à ce moment précis de l’existence,
elles créent un effondrement qui ne sera pas lié à l’arrêt des cycles mais au regard
défavorable que la société pose désormais sur ces femmes et aux sentiments d’inutilité
et d’invisibilité auxquels elles doivent faire face.
DES PERCEPTIONS CONTRASTÉES À TRAVERS LE MONDE
La nouvelle organisation sociale d’après 1789 ne semble pas laisser de place aux
femmes dès lors qu’elles sont plus âgées. Ce qui est loin d’être le cas dans certaines sociétés non occidentales où le passage est fêté et honoré car perçu très positivement.
Que ce soit au Japon, chez certains peuples africains ou amérindiens, par exemple, une
femme qui a terminé ses cycles devient complète car elle a connu toutes les étapes de la
vie. Son autorité s’affirme par son expérience. Elle peut devenir chef spirituel ou
conseillère. La présence des femmes âgées est significative du déroulement harmonieux
de la société.
Aujourd’hui en occident c’est la science médicale qui dit, et en disant, assigne les
femmes à un vécu désubjectivisé, donc objectalisant, où aucune place n’est laissée à
l’expérience créatrice de soi. `
«La ménopause est dite par les médecins, pensée dans le cadre médical et associé à
trois registres: le symptôme, la déficience et le risque » écrit Cécile Charlap dans sa
recherche La fabrique de la Ménopause.5
Le terme « ménopause »définit désormais dans le langage courant un passage identitaire
clé de la vie d’une femme comme potentiellement difficile et source de problèmes. Ce
terme porte en lui un état de diminution jusqu’à parfois un arrêt total du sens de
l’existence.
Il semble que notre société ait oublié que la vie est faite d’une succession de
métamorphoses, de mourir et de renaître à soi. Nous avons oublié qu’à chaque étape
importante de notre vie, que ce soit notre entrée dans la vie d’adulte, dans la sexualité,
les responsabilités, ou devenir parent, à chaque fois que quelque chose nous est donné,
quelque chose d’autre se retire. Nous traversons ces états de transformation tout au long
de notre vie, ils constituent chaque fois une source d’enrichissement et
d’approfondissement assez puissant pour accepter la perte. Le deuil fait partie de ce
processus de renaissance. La métamorphose œuvre au devenir d’un soi toujours plus
grand et plus riche. La nature est bien faite.
Mais il semble qu’en occident elle s’arrête d’œuvrer avec intelligence quand il s’agit des
femmes vieillissantes…Comme si rien ne pouvait venir combler la perte de la fécondité
qui reste une blessure trop profonde pour être dépassée. La nature aurait laissé un vide à
cet endroit? Ou se pourrait-il que les racines d’un système patriarcal très ancien
continuent d’œuvrer insidieusement?
Il est bon de savoir que l’arrêt de la fécondité
chez une femme ouvre une ère de libération et
d’expansion, de créativité et de sagesse
multipliées.
Encore faut-il que la femme puisse se saisir
de la préciosité de cette transition, qu’elle
soit en capacité de se l’approprier
pleinement et de la vivre.
On voit bien que ce n’est pas donné par la
société. Les femmes qui se sentent
stigmatisées peuvent cependant trouver la
force et les ressources d’émerger du
marasme ou de la noyade forcée créés par ce
conditionnement social.
UN ENJEU LINGUISTIQUE ET SOCIAL
Les mots portent en eux toute l’histoire qu’ils
signifient. Celui de « Ménopause » n‘induit
pas uniquement l’arrêt de la fertilité. Autour
de lui flotte un nuage de tristesse, de perte,
d’arrêt du désir et de la féminité.
Et tout comme celui de « LUNES » utilisé aujourd’hui par de nombreuses jeunes
femmes a su redonner aux vieilles règles souffreteuses et forcément malvenues 6, une aura de beauté et de mystère poétique, ainsi qu’un lien cosmique avec la nature, celui de « ménopause » mérite d’être changé pour un mot qui saura exprimer la puissance et la beauté de ce passage.
Le terme « ménopause » devrait être circonscrit à l’usage médical car il porte en lui
les contraintes et les problèmes inhérents á sa création.
Imaginez qu’en place de votre digestion vous utilisiez le mot « ulcèration ». Je vous laisse
jouer à ce petit jeu d’imagination et à ressentir toute l’énergie négative que vous envoyez
à votre estomac. Et d’imaginer également les effets déplorables sur votre digestion que
cela induirait si vous deviez uniquement parler d’elle en ces termes. Et cela depuis dix
générations…
Les mots sont puissants, ils devancent la forme et le contenu. Ils sont créateurs et nous
conditionnent. On dit que parfois les mots tuent, et parfois ils tuent à petit feu.
Nous n’avons aucune obligation d’utiliser un mot qui nous asservit pour définir un
passage qui a le potentiel de nous ouvrir à une des plus belles part de nous.
Nous pouvons décider de donner à l’arrêt des menstruations un mot délivré de son
sens médicalisé. Un mot délivré de la diminution, de la perte et de la souffrance. Un
mot qui n’enferme pas mais au contraire, libère.
VERS UNE NOUVELLE CONSCIENCE
Dans le besoin de me réapproprier complètement
ce passage, j’utilise le terme de « LUNANOVA». Il
m’évoque une ouverture, une nouvelle voie pour
vivre ma féminité, et l’observer agir de l’intérieur. Un renouveau porteur de sens avec lequel je ne
traverse plus les cycles, je suis devenue le cycle.
C’est la féminité océanique dont la puissance est
sans limite.7
Aujourd’hui les femmes oeuvrent à identifier,
démanteler et dénoncer ce qui vise à leur
diminution. Elles oeuvrent ainsi au développement d’une société plus équilibrée.
Notre société a besoin d’incorporer le féminin, de
sortir de la dualité nature/culture afin de
rendre et de créer un monde porteur de sens.
Elle a aussi besoin d’accueillir la vieillesse comme
une étape source de grande sagesse et beauté,
accepter de vieillir demande à tous les humains une compréhension et une intégration, qui se fait par étapes successives.
Nous pouvons continuer de chercher à l’extérieur une aide providentielle et miraculeuse
ou nous décider à faire ce qui est nécessaire pour recouvrer notre souveraineté.
C’est à chacune de décider si elle veut être ménopausée ou libérée du poids social.
Bonne nouvelle, la ménopause n’est pas une obligation!
QUE VIVA LA LUNANOVA!
Agnès Perelmuter
Psychothérapies créative, énergétique et somatique
Merci à Jean Unbekandt, Audrey Marlhens, Pascale Mompoint-Gaillard et Anne Parisiadis pour leur lecture et leurs retours.
1. https://www.inserm.fr/dossier/menopause/
2.L’absence de symptômes lors d’un passage existentiel n’est pas forcément le signe que
« tout va bien ». Le surmoi peut étouffer toute tentative de crise par impossibilité
psychique de se réorganiser. Il arrive dans certains cas que la crise émerge plus
tardivement.
3.Comme tout ce qui dans notre société peut mener à une impasse, une perte ou un
sentiment d’impuissance.
4.Daniel Delanoe. Sexe, croyance et ménopause (Ed. Hachettes Littérature, 2007). Thèse
sur la ménopause vécue dans l’histoire française et à travers le monde.
5.https://lejournal.cnrs.fr/articles/la-menopause-est-elle-une-construction-sociale
Cécile Charlap. La Fabrique de la ménopause (CNRS Éditions, 2019).
6.Le sang menstruel fait l’objet de tabou et de rejet depuis très longtemps. Elise
Thiébaut. Ceci est mon sang (La Découverte, 2017), ouvrage consacré à l’histoire des
règles.
7.Il s’agit d’une puissance calme et tranquille qui prend sa source dans l’amour des liens
qui nous unissent et œuvrent au bien de toute l’humanité.
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