Keizo Ushio, Ruban de Möbius, Japon
Sans diminuer l’impact dramatique que le Covid-19 aura eu dans la vie de certains, pour de nombreuses personnes l’épisode du confinement a été vécu comme un temps parfois très confrontant, mais également bénéfique. Comme l’est toute épreuve traversée quand on en saisit le sens et l’opportunité pour avancer.
L’OTIUM
Pour une partie de l’occident, s’est ouvert avec le confinement un temps particulier, comme rarement l’occasion nous est donnée d’en vivre dans notre vie.* Tel l’otium, temps libre consacré à l’éloignement du quotidien et à l’engagement envers soi et sa créativité, à l’étude de la vie, notamment en marchant, en rêvant, en flânant, en écoutant son corps et ses émotions… Il parait que Sénèque considérait l’otium comme la caractéristique de l’homme vraiment libre.
L’otium emplissait les deux tiers du temps des citoyens de la Rome antique, tandis que le tiers restant était dédié au negotium, au labeur pour subvenir à ses besoins. On est bien loin du compte actuel de notre société où l’humain est « invité » à offrir sa vie entière au fonctionnement d’une croissance économique bancale et inhumaine. Où les loisirs sont une injonction à « s’amuser » ou à se « reposer » inscrite sur des plages de temps de plus en plus restreintes et organisées.
UNE PAUSE INESPÉRÉE
Il fallait au moins une pandémie pour arrêter de faire tourner, ne serait-ce qu’un temps, ce fonctionnement infernal. Ce ne sont pas les vacances ordonnancées de manière à tenir le coup, permettant par ailleurs au système de se perpétuer, qui sont conçues comme une régénération. Tenir le coup est devenu de moins en moins une réalité si l’on en croit le nombre croissant d’effondrements et de « burn out ». Cette tragédie où des individus culpabilisés se voient éjectés du système. Alors que la fatigue est vécue par nous tous, au quotidien, acceptée, banalisée, dans des vies littéralement surchargées et aliénées. Comme l’écrit Anne Dufourmantelle elle est « le premier signe tangible d’un épuisement de l’être (…) Car la contrainte et la fatigue ne sont pas inévitables dans des vies plus souvent agitées qu’active. (…) D’ailleurs cette sensation disparaît dès lors que l’on est porté par ce qu’on accomplit. (…) L’énergie est une bande de Moebius qui peut s’inverser d’inertie en force motrice. C’est en quelque sorte le même élément qui se retourne. »**
Personnellement, et comme tant d’autres, j’ai accueilli à bras ouverts la bienfaisance de cette pause inespérée qui a permis à la terre, elle aussi épuisée, de commencer sa régénération, et à nous autres habitants de nous y déposer, dans le silence régnant, et de pouvoir enfin nous pencher profondément à l’écoute de notre propre nature intérieure.
PASSER À CÔTÉ DE SA VIE
La propagation de ce virus mortel nous a plongé face à notre finitude. Les accompagnants des personnes en fin de vie le savent, ce n’est pas tant la mort qui est crainte que l’idée d’être passé à côté de sa vie. Les regrets d’une vie dont le sens souvent nous échappe. Entre des rythmes effrénés et des injonctions divers, il reste peu de place pour prendre véritablement soin de soi, et peu de place pour se connaitre.
PRENDS BIEN SOIN DE TOI…
« Prends bien soin de toi » a été la salutation d’usage principal durant ce temps de confinement… Car si tu ne le fais pas maintenant, tu le feras quand?
Ce contexte si particulier a permis de faire émerger, révéler, amplifier toutes les facettes de notre existence. Nos choix, nos engagements, nos addictions, certains de nos comportements ou ceux de nos proches qui pouvaient passer jusqu’alors plus ou moins inaperçus.
Une opportunité rare nous a été offerte de grandir, d’évoluer, de développer notre conscience afin de ne plus subir nos vies. J’ai utilisé assez spontanément cette situation comme un laboratoire de l’être. Très peu informée par les médias (que j’ai préféré mettre en sourdine) je suis restée connectée au monde et à mon environnement par mon intériorité.
Pour suivre le fil de mon intériorité, j’ai privilégié l’utilisation d’expressions artistiques les plus accessibles tels que le dessin, l’écriture, le collage, dans un cahier d’un très grand format. La méditation et le mouvement ont aussi été d’un très grand support pour développer mon rapport aux sensations et à l’intuition. Suivant mes affinités électives du moment présent, ce journal-livre fut non seulement une des manières d’entrer en contact avec moi, mais également mon ancrage au réel et l’incorporation de ce qui me traversait, de ce que je vivais. Quel magnifique cadeau qui m’a permis de créer de nouveaux espaces de compréhension mais aussi de corpréhension. Car le propre de l’expression artistique est de passer par le chemin des sens, et quand on prend le temps d’y mettre de la conscience, elle nous permet des ouvertures inespérées.
C’était un honneur et un bonheur de partager avec vous ces outils extraordinaires lors des ateliers en visioconférence que j’ai organisés pendant cette période. Comme soutien pour vous aider à vous délester un temps de l’identité et de la personnalité formées par différentes couches successives de croyances et de résultantes d’adaptations. Des outils pour vous permettre de goûter votre être profond qui sait ce qui est bon pour vous, de vous connecter à ce qui est vivant en vous et qui demande à s’exprimer.
LE RETOUR A LA VIE D’AVANT
Si j’en crois les abondants témoignages reçus, nombreux sont ceux qui ne souhaitent pas revenir à leur vie d’avant!
Faut-il que tout cela n’ait servi à rien? Faut-il attendre des autres que les choses changent? Nous avons le pouvoir de transformer ce que nous désirons voir changer. Chacun à notre façon. C’est cela le pouvoir sur notre vie. Cela induit la nécessité de poser de la conscience sur nous même, sur notre parcours, et de mettre du sens dans nos vies, de décider et de poser des actes quant à notre devenir.
Quelles ressources externes et internes avez-vous utilisées pour prendre soin de vous? Qu’avez-vous interrogé de vous-même? Qu’avez-vous appris? Quels sont les points où vous vous êtes sentis fragilisés et ceux où vous vous êtes sentis fortifiés? Quels sont les cadeaux que vous avez reçus? Comment allez-vous vous mettre en mouvement pour l’après? Qu’avez-vous décidé?
Se poser des questions permet de se repositionner, d’affirmer nos choix, de nous autoriser à ajuster nos vies à nos besoins et nos désirs profonds. Afin que tout cela n’ait pas servi à rien.
Agnès Perelmuter
*Le phénomène pouvait apparaitre régressif dans la mesure où nous avions un papa qui se voulait protecteur et rassurant, semblant prendre les responsabilités et tenant un cadre : notre président, (que nous l’apprécions ou pas, là n’est pas la question), et une matrice protectrice où la nourriture à priori, abondait: notre lieu de vie.
**Se trouver, Anne Dufourmantelle, Laure Leter. Ed. Poche Marabout, 20
Marc
Très pertinent ! Je trouve les illustrations de l’article particulièrement belles et bien an accord avec son contenu et en résonance avec la situation décrite.